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Rokia Traoré : « Les Maliens doivent faire leur mea-culpa »

Avec « Beautiful Africa », un cinquième album réussi, Rokia Traoré expérimente les limites du blues-rock mandingue. Et réaffirme son engagement pour le continent et son pays, le Mali.

Dur dur de rencontrer Rokia Traoré. Depuis la sortie de Beautiful Africa, son cinquième album, la chanteuse malienne est sans doute l’une des artistes les plus courtisées de la capitale française. Il y a la promo, qui l’emmène de studios radio en plateaux télé. Les concerts aussi, qui se jouent à guichets fermés. Dans le même temps, la jeune femme prépare son retour au théâtre où elle joue et chante dans la pièce Desdemona, mise en scène par l’américain Peter Sellars himself d’après un texte de Toni Morrison…

Après des semaines d’attente, rendez-vous est pris dans le restaurant d’un hôtel du 10e arrondissement de Paris. Autour d’un thé. À la fois pudique et extravertie, en colère et apaisée, Rokia Traoré parle de tout : son nouveau projet qui l’amène à repousser les limites du blues-rock mandingue, la situation de son pays, le Mali, et son espoir de le voir sortir plus grand de la crise qui le secoue depuis plus d’un an.

Jeune Afrique : Beautiful Africa* est un album résolument rock. Marque-t-il un tournant dans votre carrière ?

ROKIA TRAORÉ : Le tournant date de mon album précédent, Tchamantchè [2008], où les orchestrations tendaient déjà vers le blues-rock. Comme mes deux premiers disques, il s’inscrivait dans un projet fondé sur les instruments traditionnels d’Afrique de l’Ouest comme le ngoni, la calebasse, le gros balafon, mais les sons rock avaient déjà fait leur apparition. Beautiful Africa s’inscrit dans un nouveau projet, qui puise dans toutes les musiques que j’ai écoutées et qui m’ont influencée.

En 2008, vous disiez : « Jouer avec des instruments traditionnels, c’est renouer avec mes racines. » Est-ce que vous vous sentez moins déracinée aujourd’hui ?

Je me sens à la fois connectée et déconnectée de ma culture, mais ça vient de mon parcours personnel. Mes parents sont des Bambaras de Kolokani [région de Koulikoro], je suis née à Kati, mais lorsque mon père a fini ses études en diplomatie et qu’il a été muté en Belgique, il m’a prise avec lui. Du coup, je me suis construite une identité culturelle, avec tout ce que ma famille m’a transmis, mais aussi avec tout ce que j’ai puisé dans les différents pays où nous avons vécu. Si je me suis parfois sentie déracinée, c’était surtout à travers le regard des autres, ceux qui pensaient que, parce que j’ai longtemps vécu en Europe, je ne parlais pas le bambara ou que je ne connaissais pas suffisamment ma culture.

C’est pour ça que vous tenez tant à chanter dans votre langue ?

C’est surtout parce que c’est une partie de moi ! Je l’ai apprise en même temps que le français. Et même s’il m’arrive de chanter en français et en anglais, je continue de chanter en bambara parce que c’est ce qu’il y a de plus difficile.

 »Si je me suis sentie déracinée, c’était surtout dans le regard des autres.
Comment ça, difficile ? »

Le bambara est une langue qui a sa propre musicalité, et les chants mandingues, ça s’apprend. Même si j’en ai écouté toute ma vie, je n’en ai jamais appris les techniques, on ne m’a jamais initiée aux textes de notre tradition. Il m’a fallu trouver une manière d’adapter mes thèmes au chant bambara.

Au Mali, quand on demande aux gens ce qu’ils pensent de Rokia Traoré, ils disent tous : on la connaît, mais ce qu’elle fait n’est pas pour nous. Comment l’expliquez-vous ?

Le pire c’est que j’ai commencé ma carrière au Mali et que j’y vis ! Enfin, je dirais qu’il y a un décalage de point de vue ou de mentalité, mais ce n’est pas grave… Le fait est que je ne fais pas de chants de griots, donc ça n’intéresse pas tout le monde. Je suis dans une autre démarche : faire de la musique contemporaine malienne. Heureusement, j’ai un public qui me comprend et qui répond présent quand j’ai un concert ou que je monte un projet avec les jeunes de la Fondation Passerelle.

Votre projet, la Fondation Passerelle, a 4 ans. Quel est son but ?

Pour moi, c’est ça faire quelque chose pour le Mali, j’y ai investi presque tout ce que j’ai gagné en quinze ans de carrière. L’idée de départ était d’encadrer seize jeunes artistes, de leur offrir une formation gratuite en techniques de chant, en prestation scénique, en danse… C’est typiquement le genre d’assistance dont j’aurais aimé bénéficier quand j’étais plus jeune. Et au fur et à mesure, nos liens se sont resserrés, je ne me voyais plus les lâcher comme ça dans la nature, donc on a monté une chorale avec les dix qui sont restés. Notre premier projet est en vente, et ça fait de petites rentrées d’argent pour la fondation. Quand je pars en tournée, ils se relaient pour m’accompagner, et deux d’entre eux chantent avec moi sur le disque. Aujourd’hui, la Fondation Passerelle, c’est un studio et une salle de spectacles en construction, mais c’est surtout des jeunes avec lesquels je tourne…

Le Mali est un extraordinaire vivier d’artistes, qui pourtant ont peu de soutien de l’État. Pourquoi, selon vous ?

Malheureusement, le Mali n’est pas le seul pays dans ce cas. Les dirigeants africains estiment toujours qu’ils ont d’autres priorités. Ils ne réalisent pas que la musique comme tous les autres domaines artistiques peuvent constituer des filières porteuses pour nos pays. Finalement, je pense que tout ça trouve son origine dans notre incapacité à nous respecter et à respecter notre patrimoine culturel. La même incapacité qui nous pousse à nous entredéchirer pour des raisons ethniques ou religieuses !

Justement, votre pays se remet à peine d’une guerre ; une élection présidentielle est en préparation avec 12 candidats déjà connus. Pensez-vous que le président du renouveau figure parmi eux ?

Je ne fais pas partie des gens qui pensent qu’il faut absolument balayer tous ceux qui étaient là avant. Mais cela dit, tous les candidats, même les plus jeunes, ont des liens familiaux ou idéologiques avec les régimes qui se sont succédé. Donc eux aussi ont failli, en participant ou en se taisant. Ils doivent tous faire amende honorable, admettre qu’ils ont une part de responsabilité dans tout ce qui n’a pas marché. Et les Maliens eux-mêmes doivent se remettre en question, car on a tous participé à la corruption et au népotisme qui régnaient au Mali.

Les Maliens aussi doivent faire leur mea-culpa ?

Bien sûr ! Dans ce pays, quand vous êtes directeur de société, la famille ne comprend pas que votre nièce n’y travaille pas. Quand vous êtes fonctionnaire et que vous offrez des moutons de Tabaski à tout le monde, personne ne se demande où vous avez trouvé les moyens financiers pour le faire. Un dirigeant ne tombe pas du ciel, il vient du peuple, il reflète l’environnement dans lequel il a grandi. Et si détourner de l’argent est devenu presque normal, comment voulez-vous qu’il soit plus préoccupé par la chose publique que par son confort personnel ?

Sur le plan ethnique, le Mali est très divisé. Pensez-vous que la réconciliation soit possible ?

La division ethnique n’existe pas, elle est médiatique. Dans mon quartier, le boutiquier touareg est toujours là, il n’a pas bougé. Les Touaregs et les Arabes de Bamako sont là, on ne les embête pas. D’ailleurs qui le pourrait ? Les gens sont tous liés par l’amitié ou le mariage. Si vous tentez de vous en prendre à l’un d’eux, il y a toujours un voisin qui vous dira « attention, je le connais, il est marié à ma cousine » ou « il a grandi avec mes fils, ne le touche pas ». Cela étant, il faut quand même être vigilant, nous ne sommes pas à l’abri des règlements de comptes qui pourraient survenir, surtout dans les régions du Nord.

Admettez qu’il y a quand même des problèmes : on accuse les Peuls d’avoir collaboré avec les jihadistes, les Touaregs d’avoir permis l’arrivée d’Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique)… N’y a-t-il pas quelque chose de cassé entre Maliens ?

Il faudra être vigilant. Mais franchement, je pense que les gens font la part des choses ! Il y a trop de liens entre groupes ethniques. À Tombouctou, par exemple, la population a battu à mort un bourreau jihadiste – ce qui me choque parce que je suis contre toute violence. Mais ils ne s’en sont pas pris aux membres de sa famille ni aux membres de sa communauté. C’est aux dirigeants de la rébellion que la population en veut, pas aux Touaregs. Ce qui sera difficile, ce sera de réconcilier les Maliens avec les leaders et les combattants du MNLA [Mouvement national de libération de l’Azawad] : pour beaucoup, ce sont ces derniers qui ont ouvert la porte à Aqmi et au Mujao [Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest]… Mais je suis persuadée qu’on y arrivera, on a beaucoup trop souffert, et chaque politicien, chaque homme religieux, chaque Malien a compris qu’il faut agir pour l’intérêt commun.

Source : JeuneAfrique.com (Propos recueillis par Malika Groga-Bada)

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Modibo TEMBELY est co-administrateur de ce site web.

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