Au moins 19 personnes sont mortes, vendredi 20 novembre 2015, dans l’attentat du Radisson de Bamako. Comment en est-on arrivé là ?
Pour cet éditorialiste guinéen, c’est le résultat de l’échec d’un système de gouvernance à la malienne, instauré depuis la “révolution” démocratique de mars 1991 dans le pays.
Avant cette date, le Mali renvoyait au monde entier l’image d’un pays revendiquant une tradition démocratique ancrée, une stabilité politique d’autant plus rassurante qu’elle reposait sur une gestion consensuelle du pouvoir et un modèle de développement économique prometteur.
Mais depuis cette célèbre attaque targuie contre des garnisons militaires à Ménaka [lancée par des groupes armés du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) afin d’obtenir l’indépendance des trois régions du Nord], le Mali ne cesse de dégringoler, révélant au passage la fragilité du système politique et les dessous de la prospérité économique que l’on avait jadis tant vantés.
Une analyse rétrospective de l’histoire récente du Mali conclurait inéluctablement à un énorme gâchis. Il est en effet inconcevable que ce pays qui, il y a à peine quatre ans, servait de modèle se soit si brutalement écroulé.
Un pays qui, grâce en particulier au leadership d’un certain Alpha Oumar Konaré [président issu de la révolution démocratique de 1991], avait très vite réussi à se remettre des blessures laissées par la dictature de Moussa Traoré [1968-1991]. Parallèlement, on avait réussi à édifier des institutions ayant la confiance des populations. Le Mali avait tout de même réussi à se bâtir un substrat économique prometteur. Durant les années 2000, le pays affichait une croissance économique dont la moyenne annuelle se situait autour de 5 %. Une embellie qui devait culminer avec l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN), en 2002. L’événement continental, au-delà de l’image positive qu’il renvoyait du Mali et des milliers de touristes qu’il devait drainer, avait été surtout pensé pour servir de tremplin au développement des infrastructures socio-économiques.
Le consensus, cheval de Troie
Malheureusement, l’attelage reposait sur une singularité politique qui se sera révélée trompeuse. A savoir le consensus politique sous la gouvernance d’Amadou Toumani Touré [de 2002 au coup d’Etat de mars 2012], une sorte d’approche hybride dont la philosophie est de “gouverner ensemble dans le respect des différences”.
D’abord enviée par bien des pays africains, cette spécificité, si elle mettait à l’abri des crises politiques récurrentes, aura toutefois péché par le fait qu’elle n’admettait aucune forme d’opposition.
On pense en effet qu’elle constituait une sorte d’entente tacite entre les principales forces politiques du pays autour de la répartition des biens et des richesses.
Du coup, personne n’a vu venir les soulèvements touareg. De même, personne n’a senti le malaise social qui ne cessait de grandir en raison de la rampante corruption.
On n’a même pas réalisé qu’au sein de l’armée la troupe en avait de plus en plus marre de son exploitation éhontée par la hiérarchie et que la discipline et la rigueur étaient sérieusement menacées au sein de cette institution stratégique.
La désintégration
On comprend donc la surprise qui a été celle de beaucoup de leaders maliens quand les choses ont commencé à se gâter. Mais une certaine lucidité oblige à reconnaître que c’était ce qu’il y avait de plus logique.
Dans un tel contexte, il était compréhensible que l’armée malienne ne fasse pas le poids devant les rebelles touareg, puis devant les islamistes. Il était aussi dans la logique des choses qu’Amadou Sanogo et sa clique mettent l’occasion à profit pour s’emparer du pouvoir [22 mars 2012].
Et il était normal qu’au-delà de Serval et de la Minusma [Mission des Nations unies pour le Mali], le Nord-Mali soit le no man’s land qu’il est devenu. Parce qu’en intervenant dans cette partie du pays les forces internationales ont été sélectives, en faisant valoir une incompréhensible indulgence à l’égard des mouvements indépendantistes touareg.
Un contexte fait de confusion et de compromissions dont les terroristes, profitant par ailleurs d’un environnement mondial plutôt favorable, se servent pour s’offrir le luxe de transporter la terreur jusqu’à Bamako. En guise d’ultime pied de nez à un pays qui a résolument tourné le dos à son lustre passé.
Source : courrierinternational