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La cantatrice Bako DAGNON est décédée

Nous sommes infiniment triste ce matin car notre chanteuse Bako Dagnon est décédée ce matin à Bamako. Paix à son âme ( Allah ka ina la) La carrière de Bako Dagnon est unique : Une collaboration de vingt ans dans les années 70 avec l’Ensemble Instrumental National et quelques enregistrements sur cassettes au début des années 90. Elle a passé la plupart des 40 ans de sa carrière à chanter pour ses mécènes.

Et pourtant Bako Dagnon est une chanteuse qu’admirent les autres chanteurs.
Ses chansons sont ancrées dans l’histoire et la culture Mandingue. Elles font renaître les vieilles fables et les rendent résolument contemporaines. C’est pourquoi beaucoup des célèbres artistes de la musique malienne se tournent vers Bako lorsqu’ils ont besoin de renseignements sur l’histoire du pays – un témoignage qu’elle livre avec générosité, tout comme les anciens l’ont fait pour elle.
Ali Farka Touré admirait beaucoup son chant et la consultait souvent à propos de l’histoire du Mali lorsqu’il était à Bamako.

Banzoumana Sissoko, « le vieux lion », l’invitait régulièrement chez lui dans les années 80 pour chanter de vieilles chansons comme Janjon. Il pleurait et lui tendait un billet de 1000 Francs Maliens.

Jeli Bakari Soumano, feu le Chef des Griots du Mali, un homme extrêmement cultivé, appréciait grandement la sagesse de Bako ; elle était souvent à ses côtés lorsqu’il devait pratiquer des cérémonies rituelles.

Lorsque le producteur Sénégalais Ibrahim Sylla décide en 2003 de rassembler sur le disque Mandekalu (Syllart / Discograph) les meilleurs talents griots pour chanter les grands classiques, il fait appel à l’expertise de Bako pour interpréter les grands morceaux épiques tels que Nare Maghan ou Turamagan. Sa voix est le liant et la clé du succès de ce disque.

C’est pendant la conception de Mandekalu qu’on arrive enfin à la convaincre d’enregistrer son premier album : Titati (2007 Syllart / Discograph).

Sidi Ba, produit à Bamako et à Paris par Jean Lamoot (Salif Keita / Alain Bashung) est son deuxième album solo. Il a nécessité plus d’un an de production, un an d’allers et retours entre Bamako et Paris, d’échanges entre les musiciens maliens, colonne vertébrale de l’album et leurs comparses français interprétants les très subtils et respectueux arrangements de Jean Louis Solans et Jean Lamoot.

Histoires :

Bien qu’elle vive à Bamako depuis presque 30 ans, Bako continue à considérer son petit village natal de Golobladji, comme la source spirituelle à laquelle elle retourne s’abreuver dès qu’elle le peut.

Le village fut fondé en 1881 par un chasseur Fula nommé Nyakalemba Moussa Diallo. Le chasseur lui donna son nom qui signifie « tremper la peau de l’animal dans l’eau ». Le village se trouve au fond de la savane, à une vingtaine de kilomètres de Kita sur la route qui mène à la frontière Guinéenne, proche de la région de Biriko. Golobladji est peuplé de quelque 1500 âmes ; une piste coupe le village en deux. On trouve d’un côté les Fulas, qui sont des maîtres griots, de l’autre les Maninkas, dont sont issus les Dagnon.

Aujourd’hui encore, le village n’a ni eau courante ni électricité, ni téléphone ; pour passer un appel avec un portable, il faut quitter le village et se tenir en haut de la plus haute colline. Les seuls contacts avec le reste du monde sont la radio et les visites de parents venus de la capitale. Mais grâce aux Dagnon, Golobladji a une vie musicale particulièrement active, qui a largement contribué à la renommée de Kita comme capitale musicale.

Bako descend d’une longue lignée d’interprètes virtuoses et de joueurs de n’goni remontant au temps de Sunjata Keita, fondateur de l’empire Malien au début du XIè siècle. Les Dagnon (prononcer « Danyó ») sont considérés comme de « nobles griots ».

Dans les villages de la région, les Maninkas cultivent le riz et le millet qu’ils consomment et marchandent avec les Fulas contre la viande et le lait. Pendant la saison des pluies, les jeunes de Golobladji pratiquent le sansene, le labourage et le désherbage communal. Ils chantent des chansons pleines d’entrain accompagnées des djembés pour rythmer leur dur labeur.Lorsque le sansene a été particulièrement réussi, le nama, un masque qui représente le plus fort des jeunes fermiers – un masque fin décoré de coquillages, de miroirs et de trois cornes d’antilopes- vient danser, tournoyer et bondir comme un animal sauvage. C’est cette tradition séculaire qui fut l’une des premières expériences musicale de Bako.

Le grand-père de Bako, Bouloukoumba Dagnon, qui vécut jusqu’à 112 ans, fut le premier Dagnon à s’installer à Golobladji. Sa femme, Bako Diarra (dont Bako prit la succession) était une prise de guerre remportée d’une bataille victorieuse à Segou. Il la ramena vivre avec lui à Golobladji, ainsi que Saran, la femme qui tressait les cheveux de l’épouse préférée de Samory Toure. Aujourd’hui encore, les villageois sont fiers d’indiquer aux visiteurs la hutte ronde qu’habitait la coiffeuse dont la beauté était célèbre, et qui portait aussi le nom de Dagnon.
C’est dans cet environnement que naît Bako (vraisemblablement en 1953). Son père est un fameux joueur de n’goni et sa mère une grande chanteuse. Elle apprend son art de manière informelle auprès des Dagnon du village. Sa grand-mère lui enseigne les chansons mélancoliques de Segou, et son grand-père, les chansons des champs de bataille de Samory. De sa mère, elle apprend les chants ondulants et harmoniques de la Guinée.

Mais à l’âge de 7 ans, la tragédie s’abat sur la famille : sa mère, Djeli Fili Diawara, meurt soudainement. Son père, Tiemogoninkoumba Dagnon confie Bako à la femme d’un griot de Kita qui n’a pas d’enfants.

« Ce fut une période très dure pour Bako. Chaque jour, elle devait aller vendre des oranges sur le marché », raconte son frère aîné, Baîry. « Notre père pensait que la femme du griot apprendrait à l’aimer, mais en fait elle l’a très mal traitée, l’a battue et l’a même coupée avec des couteaux. Elle ne laissait même pas Bako chanter, mais Bako avait déjà appris des chansons au village, et elle chantait toute seule. »

Libérée de sa famille adoptive, elle étudie les tariku, les histoires précoloniales de l’empire mandingue avec le grand maître de chant Kele Monson Diabate dont les interprétations de l’épopée de Sunjata sont admirées à travers le monde Mande.

« J’ai étudié avec Kele Monson aux côtés de son propre fils, [l’écrivain] Massa Makan Diabate [l’auteur de L’Assemblée des Djins]. C’était un maître assez sévère. Je le suppliais de me donner des informations, mais il était peu disposé à le faire. J’ai fini par lui dire : « Un jour, tes histoires vont disparaître ; qui s’en souviendra si tu ne les transmets pas ? » Alors, petit à petit, il s’est mis à m’enseigner les tariku. »

« Le savoir, les tariku, les kuma koro (ancien terme) que je connais, je les ai tous appris de Kele Monson. Mais lorsqu’il y a plusieurs anciens dans un village, je fais le tour en leur posant des questions. Si six d’entre eux répondent la même chose, je sais que ce doit être vrai ».

Bako rit en racontant l’histoire de la première fois qu’elle a gagné une somme importante d’argent en chantant.

« J’avais un mécène à Kita du nom de Sayon Tounkara, qui m’a donné une vache et 50 000 Francs Maliens. Un second mécène m’a donné la même chose, plus 20 grammes d’or ! C’était beaucoup pour moi, à l’époque. J’étais si heureuse que j’ai couru chez Kele Monson pour lui montrer ce que l’on m’avait donné pour les tariku qu’il m’avait enseignés. Et vous savez quoi ? Il m’a demandé de tout lui donner sur-le-champ ! »

Puis Kele Monson lui enseigne d’autres tariku. « J’avais beaucoup de mal à les apprendre, mais j’ai persévéré. Il m’a même donné un remède spécial pour protéger ma voix et améliorer ma mémoire » – un privilège que peu de chanteurs ont reçu de ce grand ngara (maître).

« Une jelimuso [griotte] doit avoir confiance en elle, en son for intérieur, ce que l’on atteint grâce un véritable apprentissage ; elle ne doit jamais mentir, ni jamais porter de bijoux lorsqu’elle visite un mécène. De cette façon, elle sera récompensée pour son savoir et son talent, pas pour son apparence. Les bijoux sont éphémères, la connaissance de l’histoire et des chansons ne l’est pas. »

Dans les années 60, durant la première décennie de l’indépendance, la scène musicale du Mali se nourrissait de rencontres durant la « Semaine de la Jeunesse » qui avait lieu une fois par an au niveau local puis régional et national. Nombre des meilleurs chanteurs du pays ont émergé grâce à ces rencontres pour devenir de grandes vedettes.

Vers 1966, Bako Dagnon, encore jeune adolescente, fait sa première apparition publique à Kita, à la « Semaine de la Jeunesse » locale. Elle chante Yirijanko Le, un morceau Fula qu’elle interprète en Bambara. Cette chanson parle de femmes qui vont cueillir des oignons sauvages pour faire face à la famine, lorsqu’il n’y a pas de récolte de millet.

Pour cette chanson, elle reçoit un prix qui lui permet d’être sélectionnée pour la « Semaine de la Jeunesse » régionale de la province de Kayes l’année d’après. Elle y remporte un autre prix, puis elle participe à la compétition nationale. Elle est aussi régulièrement invitée à chanter avec l’Orchestre Régional de Kita, un groupe qui interprète des versions dansantes de morceaux Malinka.

C’est autour de cette période qu’elle effectue sa première visite à Bamako, accompagnée de la présidente de l’association de femmes de Kita, Mme Souko, une amie proche et un mécène. La scène musicale de Bamako est en pleine effervescence et offre de multiples opportunités à une jeune jelimuso qui souhaite montrer son talent. Bako et Mme Souko font le tour des fêtes de mariages et sa voix fine et claire est vite remarquée.

Au début des années 70, le Ministre des Arts, du Sport et de la Culture invite Bako à rejoindre le prestigieux Ensemble Instrumental National. L’EIN est composé à l’époque d’une quarantaine des meilleurs chanteurs et musiciens du pays et représente le Pays à chaque grande occasion. Même si elle continue à vivre à Kita, où elle est maintenant mariée et mère de famille, ses années passées au sein de l’EIN sont fondamentales pour elle. Elle y rencontre quelques-uns des musiciens les plus légendaires de l’époque, comme le joueur de kora Sidi Diabate, auquel elle fait référence dans son émouvante chanson Kono, et ajoute aussi beaucoup de nouveaux morceaux au répertoire du groupe, se forgeant ainsi une réputation de chanteuse savante.

La chanson qui la rend célèbre à travers le pays, Tiga Monyonko (« en épluchant les cacahuètes »), qu’on appelle simplement Tiga, parle d’une usine ouverte dans les années 60 à Kita pour fabriquer de l’huile et de la pâte d’arachides.

« Certaines personnes étaient contre l’ouverture de l’usine. Ils se disaient que l’usine risquait de leur voler leur travail. Tous les griots de Kita furent invités à composer une chanson qui parlerait de l’usine pour l’inauguratio. On nous montra les machines. Quand j’ai vu la facilité avec laquelle les machines épluchaient les cacahuètes et les transformaient en huile et en pâte que les femmes utilisent pour faire la cuisine, effectuant un travail qui prenait des heures à faire à la main, une chanson m’est venue en tête : « Salut, les fermiers de Kita, vous qui travaillez dans les champs ! Cette usine est votre amie et votre alliée, pas votre ennemie. Vous aimerez cette usine, vous les fermiers et les travailleurs, comme une vieille amie. »

Si l’usine est le symbole d‘un Mali nouveau et moderne, l’idée qu’une jelimuso écrive une chanson pour en faire l’éloge l’était aussi. Le refrain entraînant et les harmonies ondulantes rappellent celles des chansons d’amour jouées à la guitare à Kita. Elle l’enregistre pour la RTM, la radio nationale, et la chanson remporte un succès immédiat. Bako a enregistré une nouvelle version pour l’album Sidi Ba, dans laquelle, suivant la parfaite tradition griotte, elle remercie ses mécènes et les gens qui l’ont soutenue dans ses premières années à Kita, comme Mme Souko qui l’a amenée à Bamako pour la première fois, et Sayon Tounkara celui qui lui a donné la vache et les 50 000 Francs Maliens.
En 1978, elle voyage à l’étranger pour la première fois avec l’EIN : en Corée et en Chine.

« J’ai été surprise de constater les similitudes entre la musique Chinoise et la musique Bambara. Ils nous demandaient de chanter des chants Bambara et les imitaient à la perfection. Et j’ai appris l’hymne national Coréen, je m’en souviens encore. »

Et de le chanter mot pour mot.

« En Chine, nous avons été invités à chanter pour Mao », se souvient-elle. C’était pendant la révolution culturelle, mais cela ne l’empêchait pas d’apprécier les musiques venues d’ailleurs.

« Moussa Traore (le Président du Mali de l’époque) avait offert à Mao une marmite de style Malien en or massif. On m’a demandé de chanter en solo pour le Président Mao, et qu’est ce que j’ai chanté ? La chanson sur l’usine de cacahuètes, bien sûr ! »

En 1980, avec maintenant quatre enfants, elle s’installe à Bamako pour pouvoir se consacrer plus pleinement à l’EIN.

« J’ai passé la plupart des années ’80 avec l’EIN, de bonnes années, jusqu’à ce que j’aie un gros accident en rentrant de Djenne avec le groupe. J’ai été gravement blessée et traumatisée – j’ai encore très peur en voiture. Je l’ai pris comme un signe qu’il fallait que je parte en retraite anticipée de l’EIN ».

Le Mali traverse une période difficile durant la fin des années 80. La corruption fait rage au sein du gouvernement de Moussa Traore, beaucoup de fonctionnaires ne sont pas payés durant des mois et l’EIN n’est plus que l’ombre de lui-même alors que nombre de ses meilleurs musiciens sont partis entreprendre des carrières solo.

En 1990, Bako signe un contrat avec un producteur du Liberia et enregistre sa première cassette. Il a entendu sa chanson Tiga et veut qu’elle l’enregistre avec le jeune Ballake Sissoko à la kora et Fousseyni Diabate de Kita à la guitare.
Une seconde cassette est enregistrée avant que la guerre au liberia fasse disparaître label et producteur…
Bako n’enregistrera plus jusqu’à Mandekalu et ses deux albums solo produit par le producteur sénégalais Ibrahima Syllqui lui offrent enfin la notoriété internationale que sa voix tellement unique mérite depuis si longtemps.

« Depuis toutes ces années », dit-elle, « je survis grâce à la bonne volonté et la générosité de mes mécènes. Vous voyez ce toit au-dessus de ma tête ? Je l’ai bâti grâce à l’argent qu’ils m’ont donné. Il est temps pour moi d’enregistrer à nouveau, mais j’ai toujours une profonde loyauté envers mes mécènes ».

Parmi lesquels on compte quelques-unes des plus grandes figures du Mali.

« Je ne chante pas pour n’importe qui. Seulement pour ceux que je connais bien. J’ai toujours partagé tout ce que mes mécènes m’ont donné, et c’est pour cela que Dieu a été généreux avec moi. »

Elle vit dans une grande maison en béton de deux étages dans l’ouest de Bamako avec ses trois fils, leurs femmes et leurs enfants, et les parents de passage dans la capitale.

Son nouvel album Sidi Ba reflète sa vie : il concilie le moderne et l’ancien, et les différentes formes de griots maliens qu’elle rassemble avec son style inimitable et irrésistible.

« Plus personne ne veut étudier le véritable jeliva (l’art des griots). J’appartiens à la dernière génération des griots qui passent plusieurs heures par jour avec les maîtres des tariku » dit Bako. « Si vous désirez connaître les secrets du Mandé, il vous faudra vous rendre dans les lieux d’où proviennent les histoires. J’y ai été, pour étudier avec les anciens. »

Elle ajoute :
« Si tu sais qui tu es et d’où tu viens, tu ne feras jamais rien de mal. Le jeli qui connaît vraiment son art te dira : « tu es ceci ou cela, ton père a fait ci, ton grand-père a fait ça, donc tu n’as pas le droit de mal te conduire. » Si vous voyez quelqu’un commettre un acte répréhensible, il ne faut pas avoir peur de lui dire : « ce que tu fais n’est pas digne de ta culture, de ton pays. »

Elle est à l’aise dans tous les différents styles régionaux de Mandé – du style de son Biriko natal (dont il existe très peu d’enregistrements), jusqu’au son lyrique de la musique Malinke de Guinée ou le style pentatonique et minimal Bambara de Segou. Elle connaît les liens de chacune de ces traditions avec les terres dont elles sont issues.

Au delà du répertoire classique et moderne, elle compose ses propres chansons, des commentaires subtils et souvent gais sur la société d’aujourd’hui.

Elle s’inspire des chansons rythmées qu’enfant, elle chantait en travaillant les champs ; des morceaux du troubadour qui jouait de la calebasse ; des récits que les chasseurs rapportaient le soir aux enfants du village ; des comptines que les jeunes filles jouaient au clair de lune ; des chansons d’amour jouées par des guitaristes de Guinée pour le départ des jeunes mariées vers leur nouveau foyer, et qui faisaient fondre tout le monde en larmes.

Par Lucy Duran

About Sidi Modibo Kane

Modibo TEMBELY est co-administrateur de ce site web.

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