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La France au coeur du brasier malien

Derrière les versions officielles, quelles sont les coulisses de l’opération Serval? Les interrogations des politiques, l’action secrète des militaires et des services de renseignement, le sort des otages…Dans La Guerre de la France au Mali (éd. Tallandier), Jean-Christophe Notin éclaire bien des zones d’ombre.

« Faire la guerre sans l’aimer », suggérait André Malraux dans Les Noyers de l’Altenburg. La penser en temps réel et au-delà des apparences, avance en écho Jean-Christophe Notin. Après avoir exploré les dessous des engagements français en Afghanistan, en Libye ou en Côte d’Ivoire, ce fin connaisseur des services de renseignement et des forces spéciales, s’attaque à l’opération Serval, déclenchée en janvier 2013 dans un Mali étouffé par l’hydre djihadiste.

Le rôle de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), celui du cabinet du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, l’âpreté des combats dans le massif du Tigharghar, la lourde hypothèque des otages : autant d’inconnues qu’il importe de décrypter si l’on veut résoudre l’infernale équation du terrorisme saharo-sahélien. Si légitime soit-elle, toute geste militaire a sa part d’ombre. Y compris sous l’implacable cagnard qui embrase désert et rocaille.

Entre menace et mirage

L’irruption française dans l’arène malienne aura été hâtée par le spectre d’un péril imminent : celui de convois djihadistes avides de fondre sur Bamako. Mais est-ce si simple?

Si les « colonnes de pick-up » n’ont jamais été localisées, pourquoi le contraire est-il si souvent avancé? Il ne faut pas croire à une volonté de travestir la vérité, mais sans doute de mieux la faire passer auprès du grand public. Une « colonne » de voitures suscitera toujours plus la crainte qu’un « nuage » ou des « agrégats épars ».

Or la vérité est que, au moment de prendre leur décision, à part les rapports affolés de l’armée malienne, les autorités françaises n’ont disposé d’aucun élément tangible. Pas plus que les avions de reconnaissance, aucun satellite, français comme américain, n’a jamais pris de mouvement massif en flagrant délit.

Jamais un conseiller n’a déposé sur la table du président de la République les clichés fatidiques, qui seraient à la guerre ce que l’analyse ADN est dans une enquête criminelle : une preuve irréfutable.

Il sera de même avancé que les écoutes françaises ont intercepté l’appel d’un des chefs djihadistes, en l’occurrence Iyad ag-Ghali, annonçant sa volonté d’aller prier le lendemain à la mosquée de Mopti. Le criminel aurait donc signé son crime… Sauf que ni la DRM [le renseignement militaire] ni la DGSE n’en ont trace.

Et pour cause : Iyad, vétéran de trente ans de rébellion, est beaucoup trop prudent pour utiliser son téléphone de la sorte ; avant et pendant l’opération au Mali, jamais il n’a été intercepté.

Serval sera exceptionnel sur bien des points, et sa naissance est l’un des plus singuliers : ce n’est pas sur la foi de preuves concrètes, mais sur un faisceau de présomptions que la France s’apprête à déclencher son opération la plus importante depuis la guerre d’Algérie. L’auteur de cette analyse est le seul service capable de la livrer à cet instant, la DGSE.

Et pour cause : en l’absence d’images et d’interceptions probantes, il ne reste que le renseignement humain, or [celle-ci est seule] à pouvoir en disposer, avec un maillage de sources suffisamment fin, au sein de la population comme de l’armée malienne, pour sentir le pouls des territoires du Nord. […]

L’analyse de la DGSE se heurte au portrait en vigueur de la mouvance djihadiste. Depuis des mois en effet, Ansar ed-Dine est pressenti comme un maillon faible. L’Algérie n’a de cesse d’indiquer que le groupe est sous contrôle ; elle le redit encore le 9 janvier [2013] aux Français. Or la DGSE va établir de manière formelle que c’est lui, et même son chef en personne, qui est à l’origine de l’offensive, lui qui la propose à Aqmi et au Mujao [Al-Qaeda au Maghreb islamique et Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest], lesquels sont beaucoup moins enthousiastes.
L’énigme MNLA
Faut-il, dans l’extrême Nord, agir avec les Touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), sans eux ou contre eux ? Ce doute alimente à Paris des thèses divergentes.

Durant les vingt premiers jours de Serval, les autorités françaises n’ont jamais oublié les otages, mais elles ont considéré qu’il était très improbable que les opérations influent sur leur sort. La question, néanmoins, a pris de plus en plus d’acuité au fur et à mesure que les troupes sont montées vers le nord.

Les militaires se sont ainsi interrogés sur la suite qui serait donnée à la reconquête de la boucle du Niger : les politiques auraient-ils l’audace suffisante pour se rapprocher du sanctuaire de l’Adrar des Ifoghas?

Une partie de l’état-major des armées est elle-même plutôt partisane, après une période si intense d’activité, de temporiser, de consolider les acquis. L’information a circulé dans les centres de commandement que Serval allait connaître une pause. Pourtant, en Conseil de défense, le président de la République a exprimé son souhait de voir restaurer toute l’intégrité du Mali.

Son état-major particulier s’en est fait l’interprète en incitant en permanence à continuer la marche en avant, à ne pas laisser l’ennemi se ressaisir, bref, à ne pas faire du fleuve Niger une barrière.

Les informations venant de Kidal vont tout faire basculer : le MNLA, qui avait reflué aux confins du Nord-Est, serait en passe de revendiquer le contrôle de la ville ; des lauriers obtenus à peu de frais puisque sans combat, qui le relanceraient politiquement. Or la France n’a pas conçu Serval pour que le Mali revienne simplement à sa situation d’il y a un an : la partition Nord-Sud née de la révolte touareg. […]

Kidal est à plus de 350 kilomètres au nord-est de Gao, soit huit heures de mauvaise piste, en territoire presque totalement inconnu, avec une connaissance quasi nulle de l’ennemi. L’heure des forces spéciales sonne à nouveau. Lors du tour de table organisé par Cédric Lewandowski [directeur de cabinet de Jean-Yves Le Drian] à l’hôtel de Brienne, leur chef, le général Gomart, déclare pouvoir tenter le coup. Lui et son état-major, à Villacoublay, en ont fait le tour : n’est-il pas mission plus adéquate pour le COS [commandement des opérations spéciales] qu’une opération dont les risques militaires sont aussi élevés que les dividendes politiques à retirer en cas de réussite ?

Sachant l’écho favorable dont il jouirait à l’Elysée, le général Gomart propose donc de battre le fer encore très chaud de la conquête de Tombouctou et de bondir sur Kidal en avion! Comme pour la prise anticipée de Gao, les politiques sont ravis. […] Comment traiter le MNLA: comme un ami ou un ennemi? Pour les Touaregs, la réponse est évidente. Tenant congrès près de la frontière algérienne, à Tin Zaouaten, ils ont proposé à l’armée française, dès le 10 janvier, leur collaboration dans le cadre de la lutte contre-terroriste. […]

La proposition ravive à Paris le clivage suscité depuis toujours par la question touareg. D’un côté, les partisans d’un nouveau statut dans le Nord, tels, à droite, Alain Juppé qui, en janvier 2012, avait appelé à la discussion avec le MNLA, et propose un an plus tard « des solutions de décentralisation poussée, voire d’autonomie », ou, à gauche, Elisabeth Guigou, présidente de la commission des Affaires étrangères [de l’Assemblée]. […]

Le MNLA recueille le plus de suffrages au sein des forces spéciales et de la DGSE. Les premiers se laissent guider par le pragmatisme : si les opérations doivent déborder dans le Nord, autant y disposer de relais.

La seconde reste concentrée sur les otages dont la détention en plein pays touareg ne saurait conseiller d’écarter de but en blanc les offres de certains de ses représentants les plus influents. De l’autre côté, la chaîne diplomatique, de l’Elysée au Quai d’Orsay, campe sur son refus de se mêler de ce qu’elle considère comme une affaire purement malienne.

Le cas Ansar ed-Dine

L’attitude à adopter envers l’islamiste touareg malien Iyad ag-Ghali suscite elle aussi en haut lieu d’intenses cogitations.
Les services se trouvent surtout soupçonnés de couvrir Iyad ag-Ghali, qu’ils ont bien utilisé avant le 11 janvier, à plusieurs reprises, en particulier lors des tractations autour des otages.

Ne pourrait-il encore « servir »? Le Touareg doit son absence d’immunité à la décision du président de la République de séparer Serval du traitement de ces affaires. Il figure donc bien dans la liste des HVT [High-Value Target, cible prioritaire] à « neutraliser » ; il en occupe même les sommets au même titre qu’Abou Zeid, qui, en détenant les Français, aurait des raisons d’être encore plus préservé.

En réalité, depuis le 11 janvier, le chef d’Ansar ed-Dine a même déjà fait l’objet d’une opération, à laquelle il a réchappé. Il doit sa survie non à la DGSE, mais à ses trente années d’expérience de la clandestinité. Ainsi, depuis qu’il a mis sa femme et quelquesuns de ses proches à l’abri dans le Sud algérien, il se déplace en permanence dans le nord du Mali, parfois repéré, mais trop brièvement pour que se déclenche la foudre. Les soupçons concernant le Mujao sont plus fondés.

A Paris, les avis continuent de diverger sur sa dangerosité : talibans maliens ou aspirants du djihad international ? Mafieux ayant revêtu les habits fondamentalistes ou duplication locale d’Aqmi en mal de financements? L’hésitation est suffisante pour que le Mujao ne soit pas classé, encore au début de février, parmi les priorités de Serval. Les moyens de renseignement incitent de fait la France à se concentrer sur les troupes d’Abou Zeid et Belmokhtar qui la défient depuis tant d’années.

Le casse-tête des otages

L’éprouvante épopée des Français enlevés nourrit des rumeurs invérifiables. Que seul leur « débriefing » dissipera.
Sur les conditions de leur libération, beaucoup a été écrit. Très tôt. En l’occurrence, un record a même été battu – quelques heures seulement après leur retour en France, et avec un luxe de détails stupéfiant. Montant de la rançon, rivalités au sommet de l’Etat, sollicitations auprès de l’Algérie et du Qatar, rôle d’intermédiaires déjà médiatisés, intervention d’une société privée se piquant de suppléer la DGSE…

Les affaires secrètes, par essence cloisonnées, ont ceci de commode pour les luttes d’influence ou les ego surdimensionnés qu’elles peuvent se prêter à toutes les fables sans risque d’être contredit. Silencieux pendant un mois, le vrai personnage clef de la libération des quatre Français, Mohamed Akotey, cède à l’exaspération et livre à quelques journalistes un scénario de la libération suffisamment sobre pour qu’il soit très proche de la vérité.

Sans doute, un jour, le récit se fera-t-il plus étoffé, mais avec un délai de prescription qui évitera de mettre inconsidérément en cause les intérêts de la France et de ses alliés dans la région.

Grâce à la libération des otages, en revanche, le film Serval peut être, dès à présent, revisionné avec un tout autre regard : combien de fois les services et Serval sont-ils, comme ils en avaient la conviction profonde, « passés tout près »? Le débriefing des otages permet désormais de le dire.

Premier enseignement majeur : après leur enlèvement, au Niger, les Français n’ont jamais quitté le Mali, et plus précisément le Tigharghar, où, à la fin de l’année2012, ils notent les passages de plus en plus fréquents d’avions de reconnaissance. Leurs gardes, des Touaregs, font preuve de fébrilité face à une opération qu’ils sentent en préparation.

Pour les otages, c’est un mélange d’espoir et de crainte, non pas de servir de boucliers humains, mais de voir leur lieu de détention assailli, comme cela fut le cas pour Michel Germaneau. « Un jeune nous disait, relate Daniel Larribe : « Vous, les Français… » et il faisait des simulacres d’égorgement.

J’ai fait appeler le chef et je lui ai dit : « Ce n’est bon ni pour nous ni pour vous. » Cela a été radical : ils ont convoqué le jeune, le soir même il nous apportait le thé et, deux jours après, il partait par la première voiture. »

Serval mettra un mois pour venir jusqu’à leurs portes. Car, deuxième enseignement, les otages n’ont jamais séjourné à Tombouctou. Les dessins retrouvés par Serval ont dû leur être retirés ou jamais communiqués. Le débriefing est le plus passionnant pour les opérations dans l’Adrar. Entre le 13 et le 22 février en effet, sur indication de la DGSE, les forces spéciales fouillent le « camp des sables » et le « camp des rochers » : il s’avère que les otages ne s’en trouvent pas très éloignés.

Mais le fait qu’ils n’aient pas entendu leurs compatriotes venus à leur rescousse témoigne de l’âpreté de ce genre d’opérations nocturnes, très silencieuses, qui, à moins de surgir exactement sur l’objectif, ce qui suppose des renseignements beaucoup plus fournis qu’alors, semblent condamnées à l’échec.

Le 22 février, les quatre Français, séparés en deux groupes, ne sont détenus qu’à 1 kilomètre de l’entrée est de l’Ametettai quand les Tchadiens, et les forces spéciales françaises, s’y présentent.

« Tout se passait derrière une colline, décrit Larribe à la presse. Il y a eu des bombardements intenses. Nous avons vu d’épaisses fumées noires. Il devait y avoir des chars aussi. » Lui et ses camarades sont aussitôt exfiltrés, et heureusement puisque l’endroit est vraisemblablement celui que la chasse française martèlera ensuite à la GBU [Guided Bomb Unit, bombe à guidage laser] pour encourager l’infanterie tchadienne à repartir de l’avant.

Les djihadistes les font marcher toute la journée, en permanence survolés par l’aviation, mais en fin d’après-midi, une fois que le calme est revenu, ils les ramènent au même campement. Ils ignorent alors qu’Abou Zeid a été tué, en revanche c’est confirmé pour le frère d’un de leurs gardes. Les binômes se voient ordonner de charger leurs affaires dans les voitures. Ils aperçoivent alors les phares de véhicules entrant dans le massif, à quelques centaines de mètres. Ils pensent à des soldats français, ce sont les Tchadiens.

source : lexpress

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