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Mali – Serval : la France a-t-elle piégé les jihadistes en janvier 2013 ?

Laurent Touchard travaille depuis de nombreuses années sur le terrorisme et l’histoire militaire. Il a collaboré à plusieurs ouvrages et certains de ses travaux sont utilisés par l’université Johns-Hopkins, aux États-Unis. Dans ce billet, il revient sur le déclenchement de l’intervention française au Mali, il y a tout juste un an, en janvier 2013 : et si Paris avait tendu un piège aux jihadistes en les poussant à fondre sur Bamako ?

Ce qui suit ne constitue pas une analyse qu’imprégnerait une stupide théorie du complot à propos de l’opération Serval. Bien au contraire : il s’agit de reprendre le fil des événements afin de constater quelque chose de singulier.

Considérés chronologiquement et dans leur enchaînement, ces événements éclairent sous un jour nouveau le lancement de l’intervention française au Mali.

À savoir, les autorités politiques et militaires françaises ont-elles habilement piégé les islamistes d’Ansar Eddine ainsi que les jihadistes d’Aqmi et du Mujao en les incitant fortement à se lancer à l’assaut du sud du Mali en janvier 2013 ? Beaucoup d’éléments concrets donnent à le penser…

L’art de la duperie militaire

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de présenter en quelques mots ce que l’on appelle la « déception » dans le domaine militaire.

Soviétiques puis Russes ont toujours été les champions de la maskirovka, ou comment leurrer l’adversaire. La Sowjetische Militärenzyklopädie, publiée à Berlin en 1978 définit très précisément ce concept : « (…) ensemble de mesures destinées à tromper l’ennemi quant à l’existence et l’emplacement (mise en place) de troupes (forces navales) et d’objets militaires, leur état, leur degré de préparation au combat et leur utilisation ainsi que la planification de conduite.

 » Par ailleurs, il est écrit que « La maskirovka a pour but de garantir la surprise dans les actions des troupes (…) ». Plus simplement, la maskirovka (ou déception) consiste donc à faire croire à l’adversaire des choses qui n’existent pas et à l’amener à baisser sa garde ou à agir d’une manière qui lui sera préjudiciable.

L’histoire militaire fourmille d’exemples quant à l’usage des mesures de déception diverses : le « cheval de Troie » qui permet aux Grecs de s’introduire dans les murs de la cité troyenne, l’opération Fortitude durant la Seconde Guerre mondiale qui conduit les hauts responsables allemands à penser que le débarquement allié en Europe de l’Ouest aura lieu dans le Pas-de-Calais plutôt qu’en Normandie, ou encore, les ruses développées par les Égyptiens dans le cadre des préparatifs qui aboutissent à la guerre du Kippour/guerre du Ramadan alors que les Israéliens ne sont pas prêts…

« La France n’interviendra pas »

Le 17 janvier 2012, les rebelles du MNLA, épaulés par les terrobandits d’Aqmi et les touaregs « perdus » d’Ansar Eddine, passent à l’attaque. Ils assiègent les garnisons du nord du Mali et, en virtuoses du combat mobile, étranglent les colonnes de secours.

Au bout du compte, le dispositif militaire malien s’effondre et, le 6 avril, l’indépendance de l’Azawad est proclamée… Islamistes et jihadistes ne tarderont pas à chasser leurs ex-alliés du MNLA à leur tour en position de faiblesse (dont une partie des combattants sont « achetés » par les jihadistes).

Fin juin 2012, tout est consommé et l’Azawad porte le voile de l’Islam, vit au rythme des châtiments corporels et des membres coupés au nom de la charia.

En dépit de cette emprise islamiste radicale sur le nord-Mali, François Hollande explique, le 14 juillet 2012, que c’est aux Africains de décider des modalités d’une intervention.

Le 04 août, Jean-Yves le Drian, ministre de la Défense, déclare que la France ne prendra pas l’initiative d’une action armée. En octobre, le président français annonce encore : « Il n’y aura pas d’hommes au sol, pas de troupes françaises engagées » ; l’Hexagone apportera un soutien logistique mais pas direct.

Le 21 décembre, le chef d’État commente la décision du Conseil de sécurité de l’ONU, en date du 20 décembre : « Le temps de l’intervention militaire au Mali n’approche pas. (…)

La résolution de l’ONU va permettre le dialogue politique. Ensuite, s’il y a toujours une occupation du Nord-Mali, ce sont les Africains qui mèneront cette opération avec le gouvernement malien. »

Cette résolution autorise le déploiement d’une force internationale par étapes et sans agenda. Le flou artistique règne donc quant à la libération du nord du Mali et, clairement, Paris n’en prendra pas l’initiative unilatérale.

Le piège ?

Certes, les responsables français incitent au déclenchement d’une opération militaire, à condition qu’elle reste africaine. Au besoin, la France apportera une aide indirecte, à caractère logistique.

Rien ne paraît susceptible d’infléchir cette logique résolument non-interventionniste. Début janvier 2013, des négociations entre Bamako, Ansar Eddine et le MNLA échouent ; le 3 janvier Iyad Ag Ghaly, chef de l’organisation islamiste touarègue, dénonce son « offre de cessation des hostilités ».

Décision qui constitue un message clair qui s’exprime également sur le terrain : ses combattants se regroupent. Les jihadistes d’Aqmi et du Mujao les rejoignent.

L’ensemble comprend 1 500 et 2 500 hommes avec jusqu’à 150 pickups armés, des camions appartenant autrefois à l’armée malienne, des autobus destinés à transporter la piétaille recrutée au nord depuis avril 2012 et à infiltrer les jihadistes dans les villes.

Les éléments des katibas se concentrent, aux yeux de tous, sans aucune précaution, sans aucune discrétion.

Les services de renseignement français répercutent inévitablement cette posture menaçante des salafistes. Pourtant, aussi bien l’Élysée que le Quai d’Orsay gardent le silence.

Aucun avertissement, même purement rhétorique n’est formulé. Pourtant, ce silence est trompeur. La « maskirovka à la française » se met en place.

Officiellement, la ligne de conduite ne bouge pas d’un iota : la France n’interviendra pas, c’est aux Africains qu’il revient de le faire. Or, le contingent africain pour le Mali est loin d’être opérationnel tandis que les partisans du capitaine Sanogo n’en veulent pas…

En d’autres termes, Iyad Ag Ghaly, Abou Zeïd, Mokhtar Belmokhtar et Omar Ould Hamaha sont confortés dans l’idée qu’ils ne risquent rien s’ils accentuent la pression sur Bamako. Ils ne peuvent qu’être convaincus que leur marge de manœuvre est confortable, que la prise de risque est minime.

En conséquence de quoi, ils attaquent. À partir du 8 janvier, les accrochages se multiplient avec l’armée malienne. Ils dégénèrent en une bataille rangée le 10 janvier 2013. Le sucre subrepticement glissé dans le moteur jihadiste, c’est cette « maskirovka à la française »…

Le 11 janvier, dans le courant de la matinée, Kader Arif, ministre délégué français aux Anciens combattants explique : « (…) la précipitation ne sert à rien. Il ne peut y avoir là une espèce d’engagement qui pourrait avoir lieu dans l’urgence sans tenir compte de ce que sont les positions à l’échelle internationale ».

Or, depuis la veille, des éléments français sont signalés sur la base de Sévaré… Et ce même 11 janvier, François Hollande proclame finalement :  »

Les terroristes se sont regroupés ces derniers jours sur la ligne qui sépare artificiellement le nord et le sud du Mali. Ils ont même avancé. Et ils cherchent à porter un coup fatal à l’existence même du Mali.

La France comme ses partenaires africains et l’ensemble de la communauté internationale ne pourra pas l’accepter. »

Depuis plus d’une semaine, l’Élysée sait que les hostilités vont reprendre, avec une offensive d’envergure des salafistes. De là, pourquoi ne pas l’avoir tuée dans l’oeuf, par exemple avec des frappes aériennes préventives sur les concentrations d’hommes et de véhicules ennemis ?

Ou a minima, pourquoi ne pas avoir prévenu qu’une opération des terrobandits au-delà de la ligne de démarcation entraînerait une riposte française ?

Simplement parce qu’il fallait inciter islamistes et jihadistes à passer à l’action, à apparaître clairement comme les agresseurs, avant de pouvoir les annihiler, une bonne fois pour toutes, sous couvert de la demande du président malien Dioncounda Traoré du 10 janvier 2013… Le temps de l’intervention militaire au Mali est là.

Bamako, objectif des rebelles ?

Pour donner un caractère encore plus dramatique aux événements, il est affirmé que Bamako constitue l’objectif des assaillants et que la ville pourrait tomber en 48 heures !

Allégation amplement relayée par les médias bien que peu crédible. D’une part, les salafistes ne disposent que d’environ 5 000 hommes.

Sur ce total, seuls 1 500 sont engagés dans l’opération dans la zone de Konna. Les autres tiennent notamment les villes de Gao, Tombouctou et Kidal face à une éventuelle résurgence militaire du MNLA.

De Mopti à la capitale, il y a plus de 600 kilomètres de route. S’emparer de Bamako en 48 heures, c’est accomplir une chevauchée de 300 kilomètres par jour, face à une résistance malienne probable (des combats violents ont lieu à Konna, d’autres seraient probables dans les environs de Ségou et surtout, de Koulikoro).

MNLA et salafistes ont eu besoin de trois mois pour prendre le contrôle du nord de janvier à avril 2012, la faiblesse des effectifs constituant leur handicap majeur. Comment pourraient-ils se saisir du sud en 48 heures, avec un nombre d’hommes équivalent à celui de janvier 2012 ?

En outre, faire planer ce danger permet de justifier le déploiement de troupes dans la capitale, dont l’objet est notamment de contrer d’éventuelles frasques du capitaine Sanogo et ainsi, de garantir la stabilité politique dans le sud du pays.

Autre point d’importance à ce sujet : si Sévaré constitue une tête de pont essentielle de la future reconquête, Bamako est une base arrière indispensable.

Ceci étant dit, en dehors du fantasque Omar Ould Hamaha plus provocateur que génie militaire, les autres ne sont pas des imbéciles : envisagent-ils de régner sur l’ensemble du Mali avec 5 000 hommes, en sachant pertinemment que si leur implantation dans le Nord n’émeut que par principe, la capture de la totalité du pays et de sa capitale enclencherait – cette fois-ci – une réaction internationale forte, avec à la clef une intervention militaire étrangère dont les salafistes ne veulent pas en dépit de leurs rodomontades.

Ils s’accommodent très bien d’un sud du Mali divisé, d’une Union africaine impuissante à leur reprendre le Nord dans lequel ils ont la possibilité de s’implanter durablement pour faire prospérer leurs trafics et éventuellement constituer un foyer de nuisances pour l’ensemble de la région.

Un statu quo habillé de la charia et d’une autonomie de l’Azawad comme le revendique Iyad Ag Ghaly leur convient parfaitement. Bamako ne les intéresse pas. S’ils l’avaient convoitée, ils n’auraient pas attendu d’avril 2012 à janvier 2013 pour foncer sur la capitale malienne.

Si Bamako n’intéresse pas ses ennemis, pourquoi une offensive d’envergure ? L’enjeu est ailleurs. En premier lieu, il importe de neutraliser la base de Sévaré. Sans elle, le déploiement de troupes africaines pour une reconquête du Nord serait renvoyé aux calendes grecques.

Les salafistes gagneraient ainsi assez de temps pour sortir vainqueurs de pourparlers. Pourparlers qui, en second lieu, auraient été à l’avantage des terrobandits. En effet, ces derniers ayant infligé un nouveau revers aux forces maliennes et à ses meilleures unités, ils auraient pris l’ascendant dans le cadre des discussions.

Le succès d’une maskirovka à la française

À l’évidence, les salafistes ne s’attendent pas aux foudres françaises. La situation étant parfaitement « carrée », l’intervention française peut se développer dans de bonnes conditions diplomatiques.

De fait, il ne s’agit pas juste de stopper l’offensive ennemie pour revenir à un nouveau statu quo stérile, mais bien d’anéantir cet ennemi.

Le tout en accord avec la doctrine militaire anti-insurrectionnelle française : « Neutraliser les groupes irréconciliables (…). En particulier l’élimination de certains chefs insurgés peut permettre une relance du dialogue ou au minimum, un répit, le temps que le groupe insurgé se réorganise. »

Même si à Paris, le discours est habillé d’atours sobres pour les médias, sur le terrain, les militaires français font la guerre.

Et ils la font avec une efficacité redoutable, pour la gagner. Guerre qui se poursuit encore aujourd’hui car la lutte contre une insurrection demande du temps (sans qu’il s’agisse pour autant d’enlisement). Quoi qu’il en soit, le nord du Mali serait-il aujourd’hui libéré si les chefs salafistes n’avaient pas déclenché cette offensive, en toute confiance, persuadés que la France n’entraverait pas leur projet ?

source : jeuneafrique

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