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Pourquoi les Touareg se rebellent

Dans « Je reviendrai à Tombouctou », le chef touareg Shindouk Ould Najim, forcé à l’exil en 2012, explique pourquoi rien n’est encore gagné au Mali.

Si le Mali a été propulsé sur le devant de la scène internationale en janvier 2013, à la faveur de l’opération Serval, le pays a peu à peu disparu des journaux hexagonaux à mesure que s’enchaînaient les succès de l’armée française.

Les violences n’ont pourtant pas cessé. Le Nord, que la France a libéré au début de l’année, est de nouveau le théâtre de combats. Cette fois, ce ne sont plus les djihadistes mais des rebelles touareg indépendantistes qui affrontent les soldats maliens. Leur lutte est vieille comme le Mali, État qui a gagné son indépendance en 1960.

Mais que sait-on exactement de ce pays d’Afrique de l’Ouest aux innombrables cultures ? Comment en est-on arrivé à cette guerre ? Shindouk Ould Najim, un chef touareg malien, témoigne des multiples facettes du Mali dans Je reviendrai à Tombouctou*. Né en 1961, au lendemain de l’indépendance du pays, ce chef touareg appartient aux Ould Najim, une tribu berbère de 1 500 membres originaire du sud du Maroc.

Spécificité nomade

Spécialisés dans le transport du sel à travers le Sahara, les Ould Najim ont été amenés à migrer dans la région de Tombouctou, où ils se sont intégrés, au fil du temps, aux tribus touareg locales (peuple berbère du Sahara). « Berbères, Arabes et Touareg.

Nous sommes les trois à la fois », explique Shindoukh dans Je reviendrai de Tombouctou. « Les réalités africaines sont souvent compliquées. » Enfant, Shindouk parcourt avec son père des milliers de kilomètres à travers les déserts du Maroc, du Mali, du Niger, de la Mauritanie, de l’Algérie et du Tchad, pour conduire les caravanes de dromadaires.

Comme la majorité des habitants du Nord-Mali, qui ne constituent que 10 % de la population totale du pays (16 millions, NDLR), Shindouk Ould Najim est un nomade, aux traditions culturelles bien spécifiques. « Les sociétés nomades sont quasiment féodales, avec une hiérarchie sociale très stricte allant des nobles aux personnes de statut servile », explique Jean-Luc Peduzzi, spécialiste des questions de sécurité dans la bande sahélo-saharienne et coauteur du livre aux côtés de la chercheuse Laurence Aïda Ammour.

Discriminations

À l’inverse, les populations du Sud, en majorité noires, demeurent sédentaires. « Le Mali a démarré sur de mauvaises bases », souligne Shindouk, qui ne se dit « ni séparatiste, ni islamiste, mais malien ». « Différences de race, de culture et de mode de vie, encore de nos jours, quand les Maliens du Sud parlent du Nord, on a souvent l’impression qu’ils parlent d’un autre pays », note-t-il. Habitant une zone désertique qui forme les deux tiers du pays, les Touareg estiment être marginalisés par l’administration centrale.

« Le premier gouvernement du Mali indépendant était un régime socialiste d’inspiration stalinienne », rappelle Jean-Luc Peduzzi, qui relaie dans le livre les paroles de Shindouk. « Il considérait les nomades comme un peuple primitif moyenâgeux, ennemi du progrès.

Tout l’opposé de l’homo sovieticus, modèle lointain qui inspirait, à cette date, les dirigeants maliens. » Shindouk raconte que les nouvelles autorités du Mali indépendant multiplient alors les mesures discriminatoires ayant pour but de « civiliser » ces populations. Interdiction d’entrer dans les villes à la nuit tombée, arrestations, amendes ou confiscation de marchandises, l’humiliation subie par les nomades était trop lourde.

Exil

Excédés par ces traitements, les Touareg de Kidal (ville de l’extrême Nord malien, NDLR) se soulèvent en 1963. La première rébellion touareg est née. Trois autres suivront, en 1991, en 2006 puis en 2012.

Chaque fois, la révolte est durement réprimée par l’armée malienne. Shindouk parle même d' »épuration ethnique ». « Il s’agissait plutôt d’une volonté de mater une communauté dissidente », tempère Jean-Luc Peduzzi. Des dizaines de milliers de « teints clairs » – c’est ainsi que les Maliens nomment les populations arabes et touareg du Nord – fuient en direction des pays voisins.

Shindouk en fait partie. Pendant cinq ans (1991-1996), il n’a d’autre choix que de s’exiler dans des camps de réfugiés, en Mauritanie.

« Pour la première fois depuis l’indépendance, nous avions le sentiment d’être respectés », souligne-t-il. De retour à Tombouctou, Shindouk Ould Najim se lance dans le tourisme et crée son agence de voyage, Sahara Passion.

« Avec le retour de la paix, j’ai commencé à organiser des visites de la ville, puis des circuits dans le désert, de plus en plus loin, à pied ou à dos de dromadaire », raconte-t-il.

C’est à cette occasion qu’il rencontre Jean-Luc Peduzzi, alors attaché de sécurité intérieure à l’ambassade de France à Bamako, à qui il va faire découvrir les joyaux du désert malien. « Nous passions des heures, la nuit, dans le désert à contempler les étoiles », se souvient le commissaire. « C’est lui qui m’a donné le goût du désert, univers où j’ai beaucoup voyagé par la suite. »

Abandon du Nord

En 2004, Shindouk rencontre Miranda, une Américaine de retour de Mauritanie où elle a appartenu aux Peace Corps, de jeunes volontaires envoyés par Washington en Afrique pour favoriser la paix et la fraternité en Afrique. Ils auront un fils, Najim. Et en dépit de la signature en 1992 du Pacte national de réconciliation avec le Nord, la condition des Touareg ne s’améliore pas. « Les populations de l’Azawad ont gardé l’impression d’avoir été négligées et traitées de façon injuste par le pouvoir central », explique Shindouk.

Abandonné par Bamako, le Nord-Mali développe une véritable économie parallèle. Traditionnel carrefour des routes commerciales transsahariennes, la région devient zone de tous les trafics. « L’État n’avait pas les moyens d’assurer sa souveraineté sur la région et a laissé tomber le Nord, qui est devenu, de facto, un véritable Far West », indique Jean-Luc Peduzzi.

Tout d’abord théâtre de la contrebande de cigarettes, de voitures ou de migrants, le désert malien sert bientôt de zone de transit aux convois de cannabis et de cocaïne. À la fin des années 1990, la région voit débarquer le fléau djihadiste.

Arrivée d’al-Qaida

Poursuivi par le pouvoir algérien après dix années de guerre civile, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC, successeur du GIA) trouve dans l’Azawad une zone de repli inespérée.

En 2007, le GSPC s’affilie à al-Qaida et devient al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi). Cette fois, ce ne sont plus des cigarettes mais des otages occidentaux qui sont monnayés.

Pour mieux s’implanter dans la région, les leaders du groupe terroriste n’hésitent pas à épouser des filles de chefs touareg. L’effet est dévastateur pour le tourisme. Les tour-opérateurs annulent leurs voyages dans la région. Le rallye Dakar, dont l’édition 2008 a été annulée, ne traversera plus l’Afrique.

L’opération militaire française en Libye, en mars 2011, va bouleverser l’équilibre de la région. À la chute de Muammar Kadhafi, les nombreux Touareg qui avaient intégré l’armée du Guide rentrent au pays avec armes et bagages. Fin 2011, plusieurs factions touareg créent le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), une formation laïque déterminée à établir un État indépendant au nord du Mali.

Écarté de ce groupe, un autre leader touareg historique, Iyad Ag Ghali, inaugure son propre mouvement, Ansar Dine, avec comme élément fédérateur l’islamisme radical. L’homme est pourtant un ancien bassiste, « grand fêtard », qui s’est reconverti dans l’islam politique « autant par stratégie » que par « sens du terrain », estime Shindouk.

Opportunisme

Contrairement à ses anciens camarades, Iyad Ag Ghali n’a pas de visée séparatiste, mais souhaite au contraire appliquer la charia dans l’ensemble du pays. Un but qui va permettre à Ansar Dine de bénéficier du soutien d’Aqmi.

« N’oubliez jamais que les civilisations du désert sont celles de la survie », pointe Jean-Luc Peduzzi. « Les alliances se nouent et se dénouent vite, au gré des situations, avec beaucoup d’opportunisme. » Bien qu’opposés dans leurs objectifs, les deux groupes touareg du MNLA et d’Ansar Dine vont combattre côte à côte début 2012. Le 24 janvier, les insurgés s’emparent de la localité d’Aguelhok.

Des dizaines de jeunes militaires maliens sont froidement exécutés. Les images du massacre, diffusées sur Internet, choquent le pays. Informé de la chute imminente de Tombouctou, Shindouk décide en mars 2012 de fuir in extremis avec sa famille.

« Sa maison étant surnommée à Tombouctou l’ambassade des Toubabs [Blancs], il n’avait d’autre choix que de partir », souligne Jean-Luc Peduzzi. Le guide malien réapparaîtra quelques jours plus tard, dans un e-mail. En pièce jointe du message, la photo du chef touareg en tenue traditionnelle, au beau milieu d’un paysage enneigé. Shindouk s’est réfugié au Canada, en Nouvelle-Écosse,chez sa belle-famille.

Coup d’État

C’est sans doute l’incapacité de l’armée malienne à venger le massacre d’Aguelhok et à contenir l’offensive rebelle qui va provoquer le coup d’État militaire du 22 mars 2012. La mutinerie d’une poignée de sous-officiers suffira à faire tomber le régime, mettant fin à dix ans de règne du président Amadou Toumani Touré. « Ils furent probablement les premiers étonnés du résultat obtenu », souligne Jean-Luc Peduzzi. À leur tête, le capitaine Amadou Sanogo, ancien professeur d’anglais au camp militaire de Kati. Mais ce coup de force va provoquer l’inverse de l’effet souhaité.

Profitant de la confusion régnant à Bamako, les insurgés s’emparent coup sur coup des trois plus grandes villes du Nord : Kidal, Gao et Tombouctou.

« Les groupes islamistes possèdent des combattants chevronnés, mais ils recrutent aussi localement », explique Jean-Luc Peduzzi. « Beaucoup de jeunes au chômage les ont rejoints, non pas par conviction, mais parce qu’on leur proposait 600 euros par mois. » Seulement, l’entente de circonstance entre rebelles touareg et islamistes ne va pas durer.

Application de la charia

Aidés par le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), une dissidence d’Aqmi, Ansar Dine chasse le MNLA du Nord. Régnant désormais en maîtres dans la région, les islamistes (Aqmi, Ansar Dine et le Mujao) sèment la terreur dans les villes conquises. Au nom de la charia, ils multiplient les mutilations d’habitants et détruisent les mausolées saints de Tombouctou, alors que le pays est caractérisé par son islam modéré.

« Les terroristes ont martyrisé tout le Nord-Mali durant onze mois », insiste Shindouk. 320 000 Maliens sont déplacés. 180 000 se réfugient dans les pays voisins.

Six mois plus tard, les islamistes lancent l’offensive finale en direction du sud et de Bamako. Conscient de l’état de délabrement de ses troupes, le président malien intérimaire, Dioncounda Traoré, rédige alors une lettre d’urgence demandant l’aide de la France.

« L’État malien aurait coulé complètement et le pays aurait été rayé de la carte si la France n’était pas intervenue », assure Shindouk. « L’instauration d’un califat djihadiste au Mali, frontalier avec sept autres pays, aurait constitué une véritable bombe à retardement en Afrique de l’Ouest », renchérit Jean-Luc Peduzzi.

Succès français

Lancée le 11 janvier, cinq heures après l’appel à l’aide du président Traoré, l’opération française Serval, du nom de ce félin africain chassant par surprise, est un succès retentissant.

En moins d’un mois, l’armée française, aidée de troupes tchadiennes, parvient à repousser la menace terroriste. Les djihadistes qui ne sont pas morts se replient dans le Sud libyen, devenu nouvelle zone de non-droit. Mais Bamako n’en a pas fini pour autant avec le Nord.

Profitant du vide laissé par les islamistes, les rebelles touareg du MNLA, qui avaient pourtant été mis en échec par leurs ex-compagnons islamistes, reprennent la ville de Kidal. Ils refusent dès lors de rendre les armes avant d’avoir négocié avec le pouvoir le statut définitif de l’Azawad.

Un accord de dernière minute sera finalement arraché en juin 2013. Le MNLA accepte pour sa part un désarmement partiel et le cantonnement de ses soldats. L’armée et l’administration maliennes pourront alors se déployer progressivement à Kidal. Le désarmement total ne devra intervenir, en revanche, qu’une fois signé un accord global et définitif de paix, après la présidentielle.

Justice

Déjouant tous les pronostics, l’élection a pu se tenir dans tout le pays à l’été 2013 et a consacré Ibrahim Boubacar Keïta, un ancien Premier ministre. Or, le 26 septembre, le MNLA a annoncé à la surprise générale qu’il suspendait le dialogue avec Bamako, accusant le pouvoir de ne pas respecter sa parole, ce qui a précipité les derniers heurts. Quant à Shindouk, il garde les yeux rivés sur son pays natal, toujours réfugié à quelques milliers de kilomètres de là.

Pour lui, le Mali ne s’en sortira que s’il juge tous ceux qui se sont rendus coupables d’exactions dans le pays, qu’ils soient djihadistes, rebelles touareg ou soldats de l’armée régulière. « Sans justice, le pardon ne sera pas possible et il n’y aura pas de vraie réconciliation », insiste-t-il.

Enfin, après une présidentielle réussie et les 3,25 milliards d’euros d’aide promis par la communauté internationale, le chef touareg milite pour l’instauration de nouvelles pratiques responsables intégrant la société civile dans la reconstruction du pays, au nord comme au sud du Mali.

Si les troubles que connaît le Mali ne lui permettent pas, pour l’heure, de rentrer, Shindouk Ould Najim sait qu’il reprendra bientôt la route du voyage. Il ne peut en être autrement : il reviendra à Tombouctou.

source : lepoint

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